Dans une décision du 16 décembre 2021[1], la Cour de Cassation est venue affirmer que « la seule qualité de membre d’un GAEC ne suffit pas à faire relever la personne concernée du régime des procédures collectives et à l’exclure du champ d’application » de la procédure de surendettement. Cette conclusion n’allait pourtant pas de soi.
Pourquoi la question se pose-t-elle ? Le distinguo entre procédures collectives et procédure de surendettement pourrait être perçu comme superflu. En effet, le droit des difficultés pécuniaires a tendance à s’harmoniser, professionnels et particuliers pouvant bénéficier de mesures proches. Il n’en demeure pas moins que les conditions d’ouverture de ces procédures restent différentes et surtout que leur esprit diverge. Alors que le surendettement vise uniquement à remédier à l’endettement des particuliers de bonne foi, les procédures collectives varient selon la viabilité des entreprises. Mais ce qui fait vraiment la pertinence de la question, c’est le risque de perte de temps. En effet, dans un cas comme dans l’autre, le temps nécessaire à la constitution du dossier et à son instruction par l’autorité compétente peut être perdu en raison d’une erreur d’aiguillage. En effet, comme le rappelle la Cour dans la décision rapportée, les deux procédures ne sont pas interchangeables : le bénéfice de la procédure de surendettement est exclu pour toute personne qui relève des procédures collectives. Et ce « sans qu’il y ait lieu de distinguer suivant leur nature personnelle ou professionnelle »[2]. Partant, mieux vaut être certain de la voie à emprunter.
Le principe de transparence aurait pu conduire à une solution totalement contraire. Déduit de l’article L323-13, le principe de transparence passe outre la personnalité morale reconnue au GAEC pour assurer que ses associés, « pour tout ce qui touche leur statut professionnel, et notamment économique, social et fiscal », ne se trouvent pas dans une situation inférieure à celle des autres chefs d’exploitation agricole. Tirant les conséquences de ce principe, chaque membre « doit être regardé comme poursuivant au sein du groupement, son activité en qualité d’exploitant individuel », comme le rappelle le Conseil d’Etat en matière fiscale[3]. Or, le champ des procédures collectives a été étendu à toute personne exerçant une activité agricole, au sens de l’article L311-1 du Code Rural et de la Pêche Maritime. La règle de transparence, dont le champ ne se limite ni en droit, ni en jurisprudence à la fiscalité, aurait donc pu conduire à considérer que l’associé d’un GAEC – réputé exploiter son activité d’exploitant agricole individuel – relevait du champ des procédures collectives et non de la procédure de surendettement des particuliers.
Un principe d’équivalence… aux associés de sociétés à responsabilité limitée
Les associés d’un GAEC auraient alors été dans une situation analogue à celle des membres d’une forme particulière de structure commerciale, la société en nom collectif. A l’instar des membres d’un GAEC pour les dettes non contractuelles, les associés d’une SNC sont responsables indéfiniment. L’analogie se poursuit, puisque déclarés commerçants par la loi, les associés de la SNC sont réputés exercer une activité commerciale. Cette présomption – qui n’est pas sans rappeler l’effet du principe de transparence – justifie leur exclusion du champ d’application de la procédure de surendettement[4]. La Cour de Cassation a toutefois préféré retenir le modèle applicable aux dirigeants des sociétés – commerciales ou agricoles – à responsabilité limitée aux apports. Elle leur accorde le bénéfice de la procédure de surendettement, en l’absence d’extension personnelle de la procédure touchant la société[5] ou d’activité agricole distincte[6].
L’équivalence limitée aux associés de GAEC totaux ? Dans sa formulation, la Cour introduit toutefois un bémol. Elle précise que l’associé du GAEC exerçant individuellement une activité agricole distincte de l’exploitation du groupement relève des procédures collectives. Expresse – alors que la condition semblait tacitement soulevée par la jurisprudence concernant les gérants de sociétés commerciales[7] – cette limite interroge quant à son champ d’application. A n’en pas douter, il en résulte que les associés de GAEC partiels pourraient ainsi se voir appliquer le droit commercial des procédures collectives, à raison de leurs autres activités. Toute dépendra ici de la nature et des modalités d’exercice de leurs autres activités. Les membres des GAEC totaux semblent en revanche exclus du fait de l’obligation de travail exclusif et à temps complet. Mais cette exclusion ne pourrait-elle pas céder en cas de dérogation à cette obligation ? Le point est d’importance, puisque même cantonnée à 536 heures par an, dans certains cas, elle pourrait suffire à rendre applicable le droit commercial des procédures collectives.
[1] Civ. 2ème, 16 décembre 2021, n° 20-18.344
[2] Civ. 2ème, 23 juin 2016, n° 15-16.637
[3] CE, 28 mai 1997, n° 141075 ; CE, 10 mars 1999, n° 164647 ; Instruction n° 5 E-5-10 du 1er avril 2010 – Bénéfices agricoles. Apports à un groupement agricole d’exploitation en commun
[4] Com., 9 juillet 2013, avis n° 9003 ; Civ. 2ème, 5 décembre 2013, n° 11-28.092 ; CA Nancy, Chambre de l’exécution, 24 janvier 2022, n° 21/01234
[5] Civ. 2ème, 12 avr. 2012, n° 11-10.228
[6] Com., 3 octobre 2018, n° 17-17.812
[7] Civ. 2ème, 13 octobre 2016, n° 15-24.301